samedi 5 octobre 2013

Quand la misère côtoie la justice...

C'est un vendredi... C'est souvent le cas. Posez la question aux assistants sociaux ; demandez-leur quel est le jour qu'ils redoutent le plus. A 95 % vous aurez le vendredi ! Les 5% restants iront sur le lundi !

C'est un vendredi que nous recevons avec ma collègue puéricultrice une OPP ; dans le langage français ça signifie une Ordonnance de Placement Provisoire. Tout est dit dans l'intitulé. On nous ordonne d'effectuer un placement provisoire. Il va sans dire qu'il s'agit d'enfants ; dont un enfant en bas âge.
C'est vraiment ce que je préfère ! Non, j'déconne...



Bref, avec ma collègue, l'OPP nous est adressé par le Procureur de la République (le patron des gendarmes) via notre responsable... Un courrier dont on se passerait bien. C'est même plutôt un fax... Sans ce document, impossible d'effectuer notre mission ; c'est-à-dire de chercher les enfants (il y en a trois dans cette belle histoire) et de les emmener au foyer de l'enfance. Pour les mettre en sécurité. Ce n'est pas par plaisir mais si personne ne le fait je n'ose pas imaginer le futur de ces enfants...

On reçoit le fax et la gendarmerie est prévue dans le scénario... Trois véhicules de gendarmerie avec à sa tête une espèce de Rambo bleu. Il faut dire que le signalement est un peu glauque. Trois enfants (encore tout jeune) qui vivent chez leurs parents (à priori la mère est partie) dans des cabanes-caravanes de bric et de broc sur un terrain un peu en retrait de tout... Le père héberge un individu sans domicile fixe et dont l'esprit semble dérangé. On le soupçonne d'attouchements sexuels... Pour parfaire ce cadre bucolique, il faut entrer dans "la propriété" après avoir franchi une barrière derrière laquelle se trouve un magnifique chien de garde dont les dents ne doivent pas faire que du bien... Une magnifique mâchoire !

Les gendarmes sont comme les nains : sept ! Un peu plus grands quand même ! Nous les suivons avec notre voiture de service. On s'arrête à quelques encablures de la propriété. Un peu la peur au ventre je vous l'avoue... ! Curieusement, je n'ai jamais eu de difficulté à aller chercher des enfants pour les retirer et les mettre en foyer. Non. Là-dessus, j'ai toujours étonné mes collègues. Je n'ai jamais ressenti de pincement au cœur et j'ai toujours bien dormi le soir venu. Non. Ce que je redoutais le plus c'était la violence éventuelle des parents. Surtout dans cette situation. Bien sûr, à chaque fois, je me dis que ça risque de mal tourner. J'imagine des coups physiques, des crachats, le chien qui nous saute dessus, le SDF qui s'y met en prenant un bâton, des insultes...

Il faut dire qu'on s'y rend en force. Des gendarmes restent à l'extérieur ; moi aussi. A l'intérieur se trouvent ma collègue et deux gendarmes. Ca ne sert à rien d'être tous là et il faut garder un œil sur le reste ! Et ma collègue puér' est au top pour aborder les enfants et expliquer au papa ce qu'il se passe. Et ça se passe plutôt bien. Je lui tire ma révérence. Ca met du temps mais on y arrive... Mais sur trois enfants, il y en a que deux... Le troisième, le plus grand, se trouve à l'école. Mer***** !!! On part tous à l'école : gendarmes, service social et papa...

Et curieusement, c'est là que ça bloque. La maîtresse du gamin refuse mordicus de laisser sortir l'enfant avant la fin des cours... Quand on est tête de con on est tête de con ! Les deux autres enfants (il y a quand même un tout petit) commencent à s'agiter. Le père à se poser des questions. Et des parents à venir voir ce beau cortège ! Alors que tout aurait pu se passer sur des roulettes, et pour le bien de tous, la directrice maîtresse refuse. On poireaute. Tout le monde poireaute. Il fait chaud. Il commence à faire tard...

Vers les cinq heures, enfin ! on récupère le grand gaillard. On explique aux enfants ce qu'il se passe. Les enfants comprennent. Ils comprennent vite les enfants quand on explique normalement les choses... Il n'y a pas de larmes. Pas de cris. L'angoisse, je ne la vois pas sur leur visage... Comme si le scénario il le connaissait déjà. Comme s'ils nous attendaient.

Et tout le monde monte dans la voiture. Les trois enfants, ma collègue puér' et moi au volant. Nous avons une trentaine de kilomètres à faire. En plus, ça monte, ça descend et ça zigzague. On n'échappe pas au mal de cœur et à un petit vomi. "T"inquiètes pas, ça va aller. Respire. On prend notre temps. Ca va mieux ?". Et on reprend la route. On leur parle aux enfants. Je me suis même mis à chanter une petite chanson enfantine.

Nous sommes attendus. Les éducateurs du foyer nous accueillent bien. Nous relatons les derniers évènements, ce que l'on sait de la situation ; on décrit le comportement des enfants ; comment ils ont vécu le placement... Je suis étonné de leur capacité d'adaptation. Je me dis qu'il faut peu de choses pour foutre en l'air une vie ! Et qu'heureusement nous faisons ce métier. Non ?

Je suis reparti serein. Je me suis dit que les enfants étaient bien pris en charge et qu'ils allaient pouvoir dormir dans un vrai lit ; que les enfants allaient avoir un vrai repas et qu'ils allaient pouvoir faire de vraies activités d'enfants. Je me suis dit que le monde des adultes allaient leur apporter le meilleur...

Quinze jours plus tard, les parents sont convoqués devant le juge des enfants. C'est normal ; c'est la procédure. Une OPP dure généralement quinze jours. Après, les enfants doivent être confiés au service de l'Aide Sociale à l'Enfance ou bien être remis dans leur famille d'origine.

Les trois enfants sont repartis dans leur famille d'origine...

J'ai cherché à comprendre cette décision du juge. Aujourd'hui, je ne sais toujours pas ce qui a motivé ce retour au foyer... Et pour nous, c'est usant. L'impression de ne pas avoir bien agi ; l'impression de ne pas être compris, entendu... Une impression de travail mal fait. Un peu comme à l'image des gendarmes qui retrouvent des délinquants dans la rue alors qu'ils les ont interceptés en train de faire un acte délictueux.

La justice m'échappe parfois...


5 commentaires:

  1. merci pr ce récit qui permet de savoir comment ça se passe, comprendre vue de l'intérieur...
    mais oui, parfois les décisions de justice nous laissent sans voix tellement elles sont décalées !

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  2. Bon, heureusement, il y a parfois des décisions compréhensibles, que tout le monde attendait ! Tout n'est pas gris dans ce monde cruel !
    Merci à toi Louise de partager mes expériences, mon vécu.

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  3. De passage sur ton blog (enfin tu me diras !), ton article est vraiment intéressant ! Merci de partager et de nous permettre de regarder par le trou de la serrure ! A très bientôt !

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  4. bon... et la suite des aventures ?!?!

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    1. Ca vient, ça vient ! Pas d'impatience ! Mais il me faut du temps, trouver les histoires et les mots justes et... un peu d'envie ! Mais je n'abandonne pas, Louise ! Merci pour tes encouragements !

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