jeudi 26 septembre 2013

La mobylette bleue

Il y a de cela déjà quelques années... Que le temps file dîtes donc ! Il faut absolument écrire car très vite on se retrouve retraité et puis ensuite, on s'occupe d'autres choses. Du club de Scrabble par exemple ; ou du foyer rural. Enfin, je n'en suis pas tout à fait là et je viens vous conter l'histoire de la mobylette bleue...



Donc, il y a de cela quelques années, je travaillais en polyvalence de secteur, je reçois un jeune. Un jeune, pour le service social - et la société en général -, ça se situe entre 16 et 25 ans. Avant, ce sont des enfants ; après des grands. Certains sont grands mais restent inexorablement coincés dans la case "enfants" dans le mauvais sens du terme. Ce sont des adoltes pourrais-je dire...
Entre 16 et 25 ans, le gouvernement a mis en place le FAJ ; le Fonds d'Aide aux Jeunes. C'est une sorte de grosse enveloppe budgétaire pour apporter un soutien financier à des jeunes qui ont quelques projets qu'ils ne pourraient pas réaliser sans un "coup de pouce". N'allez pas demander une formation pour devenir astronaute ou l'achat d'une Ferrari. Il faut rester modeste mais ça dépanne bien des fois.

Je reçois donc un jeune qui a 19 ans. Appelons-le Fred. Il est venu en mobylette et, vous l'aurez deviné, elle est bleue. Une 103 Peugeot pour les amoureux des mob'. Toute une époque ! Je me rappelle de mes 14 ans où j'avais gagné une mobylette, une 105 Peugeot. J'étais monté à Paris avec deux gendarmes et j'avais défilé avec tous les autres gagnants sur les Champs-Elysées encadré par des CRS... ! J'avais les cheveux longs et le casque au bol ; Les gendarmes ils auraient bien voulu que je me coupe les cheveux mais que nenni ! Ils rageaient !

Le jeune gare sa mobylette sous ma porte fenêtre de bureau. C'est un bureau que j'aime bien. Le mardi matin, c'est jour de marché et j'effectue une permanence. C'est-à-dire que je reçois une personne toutes les demi-heures sur la matinée. Et quand il fait beau, j'ouvre cette porte fenêtre et j'entends les bruits du marché et, très souvent, les chansons françaises qui viennent du juke-box du café d'en face. Et je me mets à chanter devant les gens, à fredonner avec eux. Ca détend l'atmosphère.

Donc, Fred viens me trouver pour que je fasse un dossier FAJ. C'était, je crois, pour le financement du permis de conduire. Il a garé sa mobylette sous ma fenêtre (je suis à un étage). Il est assis en face de moi et, en sa présence, je complète son dossier et rédige mon évaluation sociale. J'ai d'ailleurs toujours procédé ainsi ; remplir l'imprimé et dire exactement ce que l'on écrit. Et en plus, la personne vous aide ! Quand elle quitte mon bureau elle sait très précisément ce que j'ai demandé, pour quelle raison, et le montant.

Je rédige et durant la rédaction nous entendons un bruit de mobylette démarrer et partir... Aïe ! Vous sentez le coup venir... ? Bingo ! Le jeune lève la tête, me regarde et me dit "Oh putain ! Je suis sûr que c'est ma mob' !". Et en deux temps trois mouvements, il quitte mon bureau, dévale les escaliers et s'aperçoit que sa mobylette bleue n'est effectivement plus là... J'appelle la gendarmerie et je leur décrit ce qui s'est passé. J'ajoute que s'ils font des rondes dans la ville, on ne sait jamais... , qu'ils nous préviennent.

Je continue mon évaluation sociale, je termine le dossier puis je décide d'accompagner Fred au commissariat pour qu'il dépose plainte. Je lui dit "on en profitera pour passer par le centre-ville ; on regardera ainsi si la mobylette n'est pas planquée dans une ruelle, une cave". La ville n'est pas grande ; à pied, nous mettons un quart d'heure pour la traverser. Arrivés vers le garage Citroën, je dis à Fred "La gendarmerie est juste là, à environ 200 mètres. Voilà. Si jamais il y a du nouveau, je vous le dirais". Et je le quitte. A ce propos, je ne sais pas si vous avez remarqué mais je vouvoie la jeunesse... Pour moi, le vouvoiement, surtout pour les jeunes, est très important. Il me permet de les placer comme une personne à part entière et de leur donner le statut d'adulte. Les faire grandir en quelque sorte.

On se sépare...

Je retourne au CMS. Le bâtiment n'est pas du tout adapté aux personnes handicapées. Ce sont de vieux escaliers qui mènent aux bureaux. On risque de se casser la gueule surtout en franchissant le seuil. Il y a à ce moment-là une petite marche perverse qui en a calmé plus d'un !
J'entre, je prends le couloir et m'en vais rejoindre la secrétaire à l'accueil. Histoire de papoter un peu et de relater les évènements. J'aime bien les secrétaires pour ça ; elles aiment discuter et réconforter les travailleurs sociaux. Alors, pensez comme cela est cool quand on peut parler un peu de nos misères !
Et tout en discutant, avec la secrétaire, nous regardons par la fenêtre qui donne sur un pont. Et que vois-je d'un seul coup sur ce pont... ?! Je vous le donne en mille...

Je regarde, je me frotte les yeux et je dis "Oooooh ! Mais on dirait la mobylette de Fred". Mais il n'y a pas Fred sur la mob ! Il y a une sorte d'ado pas fini un peu costaud sur la mob. Il porte un bonnet qui lui donne un air de gros nounours. Et il rejoint un autre ado gringalet en blouson noir. Genre Laurel et Hardy... La secrétaire dit "il ne faudrait pas qu'ils s'en aillent" ; et moi de prendre mon courage à deux mains, je sors du CMS et je vais à leur rencontre... Je m'approche d'eux (à l'époque j'ai une veste en jean alors ça impressionne un peu) et je leur dit "Mais dîtes donc, elle est à vous cette mobylette ?" Les deux ados - un peu adultes - me regardent et disent qu'ils ont trouvé la mobylette. Ben voyons !!! Voyant qu'ils commencent un peu à baliser, je leur indique que cette mob' appartient à mon ami (ça fait plus court et plus sérieux que assistant social) et puisqu'ils pensent avoir trouvé cette mobylette j'ajoute qu'ils vont bientôt devoir s'expliquer avec les gendarmes puisque ceux-ci sont prévenus. Alors le gringalet, dans tout sa splendeur et son vocabulaire d'une richesse vraiment limitée dit en gueulant (doucement) "Les flics, j'les nique, j'les nique". Et mes deux lascars de laisser la mobylette sur sa béquille et de partir sur un air de défi ; mis à part qu'ils avaient la trouille que la maréchaussée les coince...

Je les ai laissé filé. Je suis pas flic. J'ai pris la mobylette bleue ; je l'ai rangé au bas du CMS en fermant les portes ; je suis remonté au secrétariat et j'ai appelé la gendarmerie pour savoir si Fred était toujours avec eux. "Oui, oui" et d'ajouter (on est flic ou pas...) "c'était qui ces jeunes ?". Je ne les connaissais pas (ce qui était vrai) ; ils ne m'ont pas cru. Je n'ai pas insisté. Fred est revenu chercher sa belle mobylette. Les jeunes ados qui méritent une bonne fessée avait siphonné le réservoir.

Alors, connaissant la gérante de Citroën, je l'ai appelé et elle a accepté de mettre pour 10 francs (voyez si l'histoire est ancienne !) de mélange dans la mobylette de Fred. Il s'est engagé à payer la garagiste le lendemain (il n'avait pas d'argent sur lui) ce qu'il a fait normalement.

Moralité : la jeunesse, c'est comme la société ; elle est composée d'une diversité d'individus qui nous empêchent de classifier et de généraliser toute une génération. On connaît tous des jeunes et des vieux cons, non ? Et des bien aussi... !



1 commentaire:

  1. J'adore cette histoire ! en plus comme tu nous fais vivre les personnages et que tu plantes le décor allègrement, on se sent brusquement invité à regarder et à bouger comme tu l'as fait.
    Ne change rien, tes petites histoires sont de vraies récréations et surtout elles permettent au citoyen lambda de savoir ce qu'il y a derrière le mot "assistant social".
    Bravo Monsieur !

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